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Migrants en Libye : business, silence et barbarie

En Libye, les centres de rétention de migrants sont devenus les scènes d’un drame quotidien que plus personne ne semble vouloir voir. Près de 20 000 personnes y sont détenues dans des conditions inhumaines, selon les ONG, subissant tortures, extorsions, travaux forcés, viols et confiscations. Ces abus sont systématiques, connus des autorités libyennes et même de leurs partenaires européens. Pourtant, l’appui logistique et financier de l’Union européenne à la Libye, au nom de la lutte contre l’immigration irrégulière, se poursuit.

Ce paradoxe pose des inquiétudes sur la responsabilité partagée et les dérives du contrôle migratoire externalisé. Depuis des années, des chercheurs et défenseurs libyens des droits humains documentent ce système. Parmi eux, Imad Lamloum, président du Centre d’études de Benghazi sur les migrants et les réfugiés, lève le voile sur un engrenage où la migration est devenue une rente politique et économique pour les forces sécuritaires libyennes. L’immigration, ici, ne se contrôle pas : elle se monnaye.

Quand la répression devient un marché en Libye

Le témoignage d’Imad Lamloum révèle un fait aussi troublant qu’inavoué : l’ensemble des appareils sécuritaires libyens se disputent la gestion des migrants, non pour des motifs de sécurité nationale, mais pour les gains qu’elle génère. Confiscations de biens, extorsions, reventes d’informations, rançons demandées aux familles… tout est prétexte à enrichissement, avec une impunité totale. Jusqu’à six services de sécurité interviennent aujourd’hui sur le dossier migratoire, dans un chaos bureaucratique organisé où l’argent justifie la violence.

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Cette économie parallèle prospère sous le regard bienveillant des autorités politiques. À Tripoli, le ministre de l’Intérieur est accusé d’être non seulement informé, mais directement impliqué. Il supervise à la fois les garde-frontières et les garde-côtes une concentration de pouvoir inédite pour un ministère civil. Pendant ce temps, les navires libyens utilisés pour intercepter les migrants en mer continuent d’être fournis ou entretenus grâce à l’Union européenne.

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L’échec de l’approche européenne

L’approche européenne consistant à sous-traiter la gestion migratoire aux pays de transit trouve ici ses limites les plus cyniques. Plutôt que de contenir les flux dans la dignité, cette politique nourrit les circuits mafieux et corrompt les institutions libyennes. Les exactions se produisent avec l’argent et l’aval tacite des partenaires européens, dans un déni de responsabilité préoccupant.

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Malgré tout, les chiffres ne baissent pas. Depuis le début de l’année 2024, le nombre de migrants en Libye a augmenté de 4 %, selon l’OIM. Plus de 200 000 migrants ont franchi la Méditerranée. La stratégie du refoulement et de la sous-traitance sécuritaire apparaît non seulement inefficace, mais complice d’un système de violences structurelles contre des êtres humains en quête de dignité et de sécurité.

La situation migratoire en Libye n’est plus seulement une crise humanitaire : elle est devenue un révélateur brutal de la faillite morale des politiques migratoires euro-libyennes. En laissant prospérer une économie de l’exaction, les autorités libyennes exploitent la détresse humaine, pendant que l’Europe détourne le regard. La question n’est plus de savoir s’il faut aider la Libye à contenir les flux, mais dans quelles conditions, et à quel prix humain. Car aujourd’hui, derrière chaque migrant intercepté, il y a un silence complice et un bénéfice politique.

Tony A.

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