Naira spraying : L’influenceur « Amuscap » écope de 6 mois de prison
Au Nigeria, le geste festif de jeter de l’argent dans les airs prend aujourd’hui des allures de délit. Le 7 avril 2025, Abdullahi Musa Hussaini, connu sous le nom d’« Amuscap » sur Instagram, a été condamné à six mois de prison ferme pour avoir aspergé des invités de billets de banque lors d’un mariage. Le célèbre influenceur Amuscap, suivi par plus de 150 000 abonnés, est tombé sous le coup d’une loi vieille de 2007 interdisant ce qu’on appelle localement le naira spraying, au nom de la protection de l’intégrité de la monnaie nationale.
Au-delà du geste spectaculaire, la décision de la haute cour fédérale de Kano ressort des enjeux profonds liés à la symbolique du naira, à l’inégalité sociale, et à l’affirmation d’une autorité publique décidée à faire respecter l’image de l’État. Dans un pays où la majorité vit avec moins de deux dollars par jour, voir des liasses de billets voler comme des confettis passe mal, et les autorités semblent déterminées à imposer une nouvelle rigueur, du moins en apparence.
Amuscap sanctionné, un message clair de l’Etat
La condamnation d’Amuscap est un signal fort envoyé par l’État nigérian : la monnaie nationale ne peut plus être traitée avec légèreté. Depuis des années, le naira souffre de dépréciation constante sur les marchés, affectant le pouvoir d’achat des ménages et nourrissant la défiance. Dans ce contexte, jeter des billets de banque dans les airs devient un acte perçu comme provocateur, voire méprisant envers une population en difficulté.
La Banque centrale, appuyée par la Commission des crimes économiques et financiers (EFCC), intensifie sa traque contre ce type de comportements, qu’elle associe à une forme de vandalisme symbolique. Cette posture vise aussi à redonner de la valeur morale autant qu’économique à une monnaie de plus en plus contestée, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays.
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Entre hypocrisie sociale et contournement élitiste
Mais cette croisade contre le naira spraying révèle aussi une forme d’hypocrisie sociale. Car si les autorités sévissent contre les influenceurs et les citoyens ordinaires, les élites, elles, trouvent des parades. En substituant le naira par des devises étrangères « dollars ou euros » lors des fêtes mondaines, elles échappent à la législation, puisque cette dernière ne couvre que la monnaie locale. Un double standard qui alimente un sentiment d’injustice et renforce les fractures sociales.
De nombreux Nigérians dénoncent sur les réseaux sociaux cette répression sélective, dont Amuscap en est la récente illustration. Certains y voient une diversion, un moyen de détourner l’attention des véritables urgences économiques et sociales. D’autres, plus pragmatiques, préfèrent désormais s’assurer que les caméras ne tournent pas avant de célébrer avec éclat.
Au fond, ce que révèle l’affaire Amuscap, c’est une guerre de représentations. Le gouvernement cherche à imposer une nouvelle discipline morale dans l’espace public, à réguler l’exhibition ostentatoire de richesse dans une société rongée par les inégalités. Mais cette démarche, si elle reste à géométrie variable, risque de se heurter à la créativité de ceux qui, malgré tout, tiennent à faire du « naira spraying » un acte de prestige, de joie, ou simplement de tradition. En condamnant un influenceur, l’État tente donc de reprendre la main sur une symbolique qui lui échappe. Reste à savoir si cette stratégie punitive suffira à restaurer le respect du naira – ou si elle ne fera qu’accentuer le clivage entre les Nigérians d’en haut et ceux d’en bas.
Tony A.