Succès Masra interrogé : justice ou stratégie de neutralisation politique ?
Le Tchad traverse une nouvelle zone de turbulence politique avec l’affaire judiciaire visant Succès Masra, ancien Premier ministre et leader du parti d’opposition Les Transformateurs. Inculpé pour « incitation à la haine et à la révolte » ainsi que pour « constitution et complicité de bande organisée », Masra a été entendu pour la première fois sur le fond le mardi 3 juin, à Ndjamena. Cette audition marque un tournant dans une affaire aussi explosive politiquement que juridiquement.
Au-delà de la procédure judiciaire, ce dossier cristallise de nombreuses tensions entre pouvoir et opposition. Il intervient dans un climat post-électoral encore chargé, quelques semaines seulement après l’élection controversée qui a vu la victoire de Mahamat Idriss Déby. Pour les partisans de Masra et une partie de l’opinion publique, cette affaire illustre une tentative du régime de museler l’opposition à travers l’outil judiciaire.
Une affaire judiciaire aux contours flous et contestés
Les accusations portées contre Succès Masra sont graves. Selon les autorités, il aurait incité au massacre de 42 éleveurs dans sa région d’origine du Logone occidental. Pourtant, ni son parti ni ses avocats ne reconnaissent la véracité de ces faits. Maître Francis Kadjilembaye, membre de sa défense, évoque clairement des poursuites politiques déguisées. L’enjeu ici est double. D’un côté, il s’agit de déterminer si les éléments à charge sont fondés ; de l’autre, de savoir si le système judiciaire tchadien peut mener une instruction équitable dans un contexte aussi politisé.
Tchad : l’arrestation de Succès Masra, un retour brutal à la réalité politique ?
L’interrogatoire de ce 3 juin s’est déroulé « sans encombre », selon ses avocats, mais la prudence reste de mise. La pression politique sur les juges est réelle, et la tenue même de ce procès pourrait être utilisée par le pouvoir comme un écran de légitimité. Le silence relatif autour des preuves disponibles interroge aussi : aucune information n’a filtré sur les éléments matériels censés appuyer l’accusation.
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Un symbole au cœur des tensions démocratiques du Tchad
Succès Masra n’est pas un opposant comme les autres : jeune, charismatique, populaire, il incarne une relève politique qui dérange l’ordre établi. Sa nomination au poste de Premier ministre après l’accord de Doha en 2022 avait été saluée comme un signe d’ouverture, mais son éviction et son retour dans l’opposition montrent que le dialogue politique reste fragile au Tchad. Son arrestation peut être perçue comme une revanche du pouvoir sur un homme qui, malgré les pressions, continue de mobiliser une large base populaire.
Tchad : L’opposant Succès Masra une réelle menace au nouveau régime Deby ?
Au-delà de sa personne, ce procès illustre les difficultés structurelles du Tchad à garantir une justice indépendante et à organiser un véritable débat démocratique. Si les accusations sont sans fondement, leur instrumentalisation jette une ombre sur la crédibilité du processus de transition. Inversement, si les faits sont avérés, c’est la question de la responsabilité pénale d’un homme public dans un contexte communautaire explosif qui se poserait.
L’affaire Masra met aussi à nu les tensions entre légalité et légitimité, justice et politique, au Tchad. Alors que le pays tente tant bien que mal de retrouver une stabilité institutionnelle, ce procès pourrait en devenir un point de bascule : soit il renforce la défiance populaire à l’égard du pouvoir, soit il ouvre la voie à une meilleure transparence judiciaire. Dans tous les cas, l’opinion nationale et internationale devra suivre cette procédure de très près, car son issue pourrait redéfinir les rapports de force politiques dans un pays encore en quête de démocratie.
Tony A.