Actualités

Moins de permis, plus d’ordre ? La Guinée reconfigure son secteur minier

C’est une annonce au ton martial qui a résonné sur les antennes de la télévision guinéenne. Plusieurs dizaines de sociétés minières viennent de perdre leurs permis de recherche, s’ajoutant aux retraits de permis d’exploitation opérés la semaine précédente. En moins d’une semaine, la junte militaire au pouvoir, dirigée par le général Mamadi Doumbouya, a fait sauter plus d’une centaine de titres miniers. Une offensive sans précédent dans le secteur extractif du pays.

Cette décision marque une accélération de la volonté affichée par les autorités de réorganiser un secteur minier stratégique mais historiquement chaotique, miné par l’opacité, les spéculations, et l’influence d’acteurs incapables de transformer concrètement les ressources du sous-sol guinéen. Derrière cette vaste opération administrative, se joue un rééquilibrage politique, économique et symbolique, à la fois en interne et sur la scène internationale.

Le retrait de permis, un nettoyage économique pour consolider le pouvoir de l’État ?

Le retrait massif de permis répond d’abord à une logique de recentralisation du contrôle de l’État sur ses ressources naturelles. Depuis des décennies, des permis sont attribués à des sociétés qui, souvent, n’exploitent rien et conservent leurs titres comme de simples instruments de spéculation ou de revente. La junte entend donc rompre avec cette logique d’occupation fictive des territoires miniers, en procédant à ce qu’elle qualifie elle-même de « retour gratuit à l’État ».

Cette politique de révision systématique du cadastre minier permet à la Guinée de récupérer la main sur d’importantes surfaces minières, notamment en or, bauxite, fer ou diamant. En théorie, cette reprise permettrait de les réattribuer à des opérateurs jugés plus solides, mieux équipés pour investir, exploiter et créer de la valeur ajoutée sur le territoire national. L’objectif est également de contraindre les entreprises à respecter les cahiers des charges, dans un pays où les engagements miniers sont rarement tenus.

Lire Aussi : Permis miniers retirés : la Guinée muscle sa souveraineté sur ses ressources

Un geste politique et diplomatique calculé

Ce coup de balai administratif avec les permis fonctionne aussi comme un outil de communication interne. Depuis son arrivée au pouvoir en 2021, la junte peine à faire taire les critiques sur la lenteur du retour à un ordre constitutionnel. En mettant en scène un État rigoureux face aux abus économiques, elle tente de renforcer sa légitimité populaire. L’exploitation minière est souvent vécue par la population comme un secteur confisqué par les élites et les investisseurs étrangers, sans retombées réelles. Montrer que « les choses changent » devient donc un levier d’adhésion.

À l’international, ce recentrage intervient dans un contexte où la Guinée veut rester fréquentable pour les investisseurs, tout en s’affranchissant de certaines influences. En ciblant les sociétés jugées inactives ou défaillantes, les autorités peuvent espérer ouvrir la porte à de nouveaux partenaires, perçus comme « plus sérieux », sans remettre en cause les intérêts stratégiques des grandes puissances minières. Cette stratégie fine évite une rupture brutale avec les acteurs traditionnels tout en signalant une volonté de redéfinir les règles du jeu.

La junte guinéenne s’engage dans une opération de reconquête économique du secteur minier, à la croisée des intérêts nationaux et des calculs politiques. Si cette reprise de contrôle aboutit à une gestion plus efficace, plus équitable et réellement orientée vers le développement, elle pourrait marquer un tournant. Mais si cette dynamique débouche sur de nouvelles zones d’ombre, de clientélisme ou d’opacité, elle ne fera que renforcer la défiance envers un pouvoir déjà en quête de légitimité durable. Le temps dira si cette initiative sera perçue comme un redressement de souveraineté ou une simple opération de façade. Pour l’heure, la Guinée se remet à distribuer les cartes de son sous-sol.

Sandrine A.

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page