Impunité en Guinée : la grâce de Dadis Camara met Mamadi Doumbouya sous pression
La décision du général Mamadi Doumbouya d’accorder la grâce présidentielle à l’ancien chef de la junte Moussa Dadis Camara, condamné à 20 ans de prison pour crimes contre l’humanité, fait réagir la classe politique guinéenne. Entre indignation et crainte d’un recul dans la lutte contre l’impunité, cette mesure divise et suscite de nombreuses questions.
Annoncée le 28 mars, juste avant la fin du ramadan, cette grâce de Dadis Camara est officiellement motivée par des « raisons de santé ». Mais pour nombre d’acteurs politiques et de citoyens, elle constitue un « déni de justice ». Le massacre du 28 septembre 2009 reste une plaie ouverte en Guinée, et voir l’un des principaux responsables bénéficier d’une remise de peine alors qu’il n’a purgé qu’une infime partie de sa condamnation choque l’opinion publique.
Dadis Camara gracié, un coup porté à la crédibilité de la transition
Mouctar Kalissa, secrétaire général de la jeunesse de l’UFR, ne cache pas son indignation contre cette remise en liberté de Dadis Camara : « Les voleurs de téléphones, de moutons ou de bœufs sont nombreux dans nos prisons. Mais accorder la grâce présidentielle à quelqu’un qui doit purger plus de 20 années de prison, et qui n’en a même pas fait une seule ? Donnons la chance à la justice de justifier ce qui est justifiable. »
Au lendemain de son coup d’Etat en 2021, le général Mamadi Doumbouya s’était engagé à ce que « la justice soit la boussole de la transition ». Par conséquent, cette décision de gracier Moussa Dadis Camara semble contredire cet engagement et affaiblit la crédibilité de son pouvoir aux yeux des citoyens et de la communauté internationale.
Le MoDeL, parti de l’opposant Aliou Bah, dénonce un « paradoxe troublant ». Son secrétaire national à la communication, Souleymane Kourouma, souligne : « Nous assistons à un renversement total des valeurs. D’un côté, nous voyons la grâce accordée à un individu condamné pour crimes contre l’humanité, et de l’autre, nous assistons à la condamnation d’un homme dont le seul tort est de chercher à élever des consciences. »
Lire Aussi : Soudan du Sud : L’Union africaine face à un test crucial de médiation
Un impact social et économique potentiellement néfaste
Cette décision risque d’exacerber les tensions sociales en Guinée. Les familles des victimes du massacre de 2009 voient en cette grâce une injustice, nourrissant un climat de frustration et de colère. La crainte d’une normalisation de l’impunité inquiète, et certains observateurs redoutent que cela ne renforce les divisions communautaires et politiques.
Sur le plan économique, cette grâce pourrait ternir l’image de la Guinée à l’international. Les investisseurs, déjà frileux face à l’instabilité du pays, pourraient y voir un signal négatif quant à la gouvernance et à l’Etat de droit. De plus, une dégradation du climat social pourrait entraîner des grèves ou des mouvements de contestation, affectant directement l’activité économique.
La grâce accordée à Moussa Dadis Camara marque un moment charnière dans la transition politique guinéenne. Elle expose surtout la nécessité du respect des engagements pris par le général Doumbouya. Par ailleurs elle laisse planer des doutes sur la capacité du pays à garantir une justice équitable. Cette décision pourrait avoir des conséquences durables sur la stabilité politique, la cohésion sociale et l’attractivité économique du pays. Alors que la population guinéenne attend des réformes profondes pour tourner la page des années sombres, cette grâce risque d’entretenir le cycle de l’impunité et de fragiliser encore davantage une transition déjà sous tension.
Tony A.