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Golfe de Guinée : le ventre stratégique de l’Afrique sous haute tension

Imaginez un arc maritime immense, reliant Abidjan à Luanda, Lagos à Pointe-Noire. Un espace où les cargos géants croisent les plateformes pétrolières, où les pêcheurs côtoient les pirates, et où des millions de tonnes de cacao, de pétrole et de minerais quittent chaque jour l’Afrique pour alimenter la planète. Ce décor, c’est celui du Golfe de Guinée, une mer riche et instable, qui pourrait bien être la clef de l’avenir africain.

Le Golfe de Guinée couvre plus de 2,3 millions de km². Il borde 17 pays, de la Côte d’Ivoire à l’Angola, et se situe au cœur des routes maritimes entre l’Europe et l’Asie. Pourtant, il reste étonnamment absent du grand récit médiatique mondial. C’est une erreur, car ici se joue une partie essentielle :

  • Des ressources halieutiques colossales (près d’un milliard de tonnes).
  • La première région pétrolière d’Afrique, avec un potentiel gazier gigantesque.
  • Des minerais stratégiques (cobalt, manganèse, fer, or, tantale) convoités à l’ère de la transition énergétique.

À cela s’ajoutent le cacao, le bois, le coton, le caoutchouc et les hydrocarbures terrestres. En clair, le Golfe est un coffre-fort naturel ouvert sur le monde.

Ports géants et mégapoles en expansion

C’est sur ce littoral que se construit l’avenir économique de l’Afrique. De nouveaux ports, comme Lekki au Nigeria, inauguré en 2023, rivalisent avec Abidjan, Tema, Lomé ou Douala. Ils symbolisent la modernité et l’ouverture, mais aussi la course effrénée aux infrastructures.

Autour de ces ports, des mégapoles explosent :

  • Lagos, Abidjan, Luanda : parmi les villes les plus peuplées du continent.
  • La côte Lagos–Accra : en voie de devenir une conurbation de 25 millions d’habitants.

En 2050, le Nigeria comptera 379 millions d’habitants et le Golfe de Guinée concentrera un quart de la population africaine. Une puissance démographique… mais aussi un défi urbain, social et sécuritaire sans précédent.

Les contrastes d’une région fracturée

La carte économique du Golfe de Guinée est une mosaïque :

  • Côte d’Ivoire, Ghana, Togo : croissances dynamiques (autour de 6 %).
  • Nigeria : géant démographique miné par la corruption, avec une croissance ralentie (2,9 %).
  • Cameroun : gérontocratie sous Paul Biya, croissance molle (3,3 %).
  • RDC : un paradoxe, instable mais portée par ses minerais (8,4 %).

Pourtant, derrière ces chiffres flatteurs, les IDH restent faibles, la pauvreté massive, et les tensions sociales omniprésentes. Le contraste est violent : les tours rutilantes de Lagos côtoient des bidonvilles tentaculaires où prospèrent criminalité et désespoir.

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Piraterie, trafics et djihadisme sur le Golfe de Guinée

Le Golfe de Guinée, ce n’est pas seulement le commerce et les hydrocarbures. C’est aussi un espace de menaces persistantes :

  • Piraterie maritime : 30 % des attaques mondiales recensées en 2020, malgré une baisse récente.
  • Pêche illégale : massivement pratiquée par des flottes étrangères (notamment chinoises).
  • Narco-trafic : porte d’entrée de la cocaïne latino-américaine vers l’Europe.
  • Terrorisme : Boko Haram au Nigeria, attaques djihadistes au Bénin, au Togo et en Côte d’Ivoire.

Un océan de richesses, mais aussi un océan de vulnérabilités.

Le jeu des puissances : une bataille d’influence mondiale

Le Golfe de Guinée est devenu un échiquier géopolitique où s’affrontent :

  • Les anciennes puissances coloniales : France en Côte d’Ivoire, Cameroun et Bénin ; Portugal à Sao Tomé ; Royaume-Uni au Ghana.
  • La Chine, désormais premier partenaire commercial du Togo, du Cameroun, du Gabon et de la Guinée équatoriale.
  • L’Inde, qui renforce ses liens avec le Nigeria et le Bénin.

La France tente de maintenir son influence par des coopérations militaires (lutte contre la piraterie, pêche illégale, menace terroriste). Mais Pékin, avec ses financements massifs d’infrastructures, grignote rapidement du terrain.

Un avenir sous tension : chaos ou opportunité ?

Le Golfe de Guinée cristallise l’avenir du continent :

  • Scénario optimiste : gouvernance renforcée, coopération régionale, valorisation des ressources pour les populations locales.
  • Scénario pessimiste : chaos social, convoitises étrangères, guerres de ressources et déstabilisation régionale.

La Commission du Golfe de Guinée, créée en 2001, peine encore à s’imposer comme un acteur crédible. Les organisations régionales (CEDEAO, CEMAC, CEEAC) avancent au ralenti. Résultat : les puissances étrangères comblent le vide.

Le Golfe de Guinée est à la fois le ventre nourricier, le poumon énergétique et le talon d’Achille de l’Afrique. Carrefour stratégique, il peut devenir le moteur de la prospérité continentale… ou le théâtre de nouvelles fractures géopolitiques.

Une chose est sûre : ce qui s’y joue dépassera largement les frontières africaines. Car dans ce golfe aux eaux tumultueuses, c’est bien l’avenir de la sécurité énergétique mondiale, du commerce international et de la stabilité africaine qui est en jeu.

 

Steven E. WILSON

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